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Shirin Aumeeruddy-Cziffra : «Qu’on pense aux femmes d’abord en tant que reproductrices me dérange» 

Avocate chez Dentons, ancienne Attorney General, ex-ministre des Droits de la femme et du Bien-être de la famille ainsi que première Ombudsperson pour les enfants, Shirin Aumeeruddy-Cziffra revient sur la proposition de l’alliance entre le Parti travailliste, le Mouvement militant mauricien et Nouveaux Démocrates au sujet de l’extension du congé maternité sur une durée d’un an. 

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Quel est votre avis personnel sur la proposition visant à instaurer un congé maternité d’une durée d’un an ? 
Cela m’a fait penser à des mesures similaires qui avaient cours dans les pays communistes d’Europe de l’Est, lesquels voulaient ainsi promouvoir une politique nataliste à un moment où il fallait repeupler rapidement après la guerre. C’est probablement à cause de la baisse de notre population que cette mesure est proposée. Personnellement, cela me dérange qu’on pense aux femmes d’abord en tant que reproductrices, sans tenir compte de leurs projets personnels, ni de ce qui est vraiment bon pour elles. 

Pensez-vous que cela représente une avancée significative pour le bien-être des femmes et de leur famille ? 
Tout dépend de quel point de vue on se place. Dans l’absolu, on est d’accord qu’une mère doit s’occuper de son nourrisson pendant les premières années de sa vie. On dit en effet que les deux premières années de la vie sont cruciales. Mais cela implique-t-il qu’elle doit s’en occuper sans arrêt 24 heures sur 24 pendant sa petite enfance ? 

On doit se demander si c’est bon pour l’enfant lui-même. Car il a aussi besoin de connaître son père, les autres membres de sa famille et, petit à petit, de socialiser. Je me méfie des risques d’un trop grand attachement mère-enfant, surtout mère-fils, qui peut nuire à l’épanouissement des petits. 

Beaucoup de gens se prononcent en faveur d’un congé parental, ce qui permet à chaque couple de choisir lequel des deux parents doit rester à la maison pour s’occuper d’un enfant, même très petit. Cette mesure devrait être adoptée assez vite. 

Mais quels seraient, selon vous, les mesures les plus appropriées pour les mères et les enfants ? 
Il est clair que la création de plus de crèches est une mesure importante pour les mères qui désirent travailler. Depuis longtemps, on met l’accent sur les bienfaits de l’allaitement maternel pendant les premiers mois de la vie. Mais pour cela, il faudrait que la mère puisse allaiter son bébé même si elle travaille. 

La Labour Act des années 1970 prévoyait déjà que les employées avaient le droit d’allaiter pendant une heure ou deux demi-heures par jour. C’était à l’époque de l’industrialisation, où beaucoup de femmes travaillaient dans la zone franche manufacturière. Mais cela n’a jamais fonctionné parce qu’il n’y avait pas de véritable possibilité de le faire. 

La Workers’ Rights Act a repris cette mesure, mais sans résultat réel, ni dans la fonction publique, ni dans le secteur privé car les crèches nécessaires n’ont pas été mises en place, sauf dans de très rares cas. Et ce, malgré l’annonce du ministre des Finances dans le dernier Budget qui concernait les entreprises employant plus de 250 personnes. 

Est-ce facile de créer des crèches sur le lieu de travail ? 
Sûrement pas. Mais c’est à l’État d’en créer partout en nombre suffisant avec du personnel bien formé. Les municipalités et les conseils de district peuvent aussi gérer des Day Care Centres. À Beau-Bassin/Rose-Hill, nous en avions déjà dans les années 1970. 

Un partenariat public-privé est très approprié dans ce contexte. C’est plus simple que d’attendre que les entreprises, même les plus grandes, en installent. Certaines pourront le faire si les femmes sont employées dans un seul et même lieu, ce qui n’est pas toujours le cas. Quant aux micro, petites et moyennes entreprises, elles n’en auront pas les moyens. 

Par ailleurs, on peut encourager la formation et l’agrément de nourrices (« nounous ») ou d’assistantes maternelles qui travaillent chez elles et encadrer cette profession qui existe déjà, mais sans être réglementé. Autrefois, les grand-mères s’en chargeaient naturellement, mais c’est de plus en plus rare. Il existe des coupons crèches pour les parents qui sont sur le Social Register. Cela devrait aussi s’appliquer aux « nounous ».     

Face à l’idée d’instaurer un congé menstruel, quel est votre point de vue sur son importance pour la reconnaissance des besoins spécifiques des femmes dans le milieu professionnel ? 
Je comprends tout à fait cette préoccupation car de nombreuses femmes souffrent atrocement chaque mois. Mais je crois que cette mesure est très difficile à mettre en place. Il faut une consultation sérieuse des femmes elles-mêmes, des experts en matière de santé reproductive, des syndicats et des employeurs afin de trouver une solution juste pour tous. 

Il y a également le problème de l’endométriose qui n’est pas facilement diagnostiqué mais qui pose un problème à certaines femmes. Selon les statistiques, en France, une femme sur dix en est atteinte. Ici, nous n’en savons rien. 

Tous ces problèmes de santé qui sont propres aux femmes demandent une approche spécifique de la part du ministère de la Santé, qui ne démérite pas dans d’autres domaines. On rêve toujours d’un hôpital qui se spécialiserait dans la santé des femmes. Comme elles assurent la perpétuation de l’humanité, elles méritent bien cela.

En tant qu’ancienne ministre de la Femme, comment évaluez-vous l’impact potentiel de ces propositions sur l’autonomisation économique des femmes et leur participation à la vie professionnelle ? 
Nous sommes engagés depuis plusieurs décennies pour que les femmes puissent conquérir leurs droits économiques et sociaux. Nous avons lutté contre les discriminations. Il y a eu des progrès sensibles pour qu’elles puissent travailler dans de bonnes conditions et accéder à des postes de responsabilité. 

Il est donc important de s’assurer que toute nouvelle mesure ne met pas en péril les acquis des femmes, collectivement et individuellement. Aucune de ces mesures ne doit constituer une brèche qui mettrait la progression des femmes en danger et qui porterait atteinte à la sécurité de leur emploi. 

De plus, ne croyez surtout pas que toutes les femmes seraient contentes de rester à pouponner pendant un an. La maternité peut être joyeuse, mais elle engendre aussi des difficultés pour les femmes et pour leur couple. Elles doivent donc avoir le choix concernant la durée de leurs congés de maternité tout en ayant la possibilité de confier leur bébé à des assistantes maternelles bien formées et bien encadrées.
 

 

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