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Jean-Yves l’Onflé : «Aujourd’hui, on me respecte pour qui je suis»

L’artiste peintre Jean-Yves l’Onflé compte plus de 26 ans de métier.

L’artiste peintre qu’on ne présente plus s’exprime librement sur sa vie, son art, son amour et son fils. Il évoque aussi son exposition autour des 14 stations de Jésus, visible du 27 au 28 avril, à l’école d’art de Pointe Tamarin. Après plus de 25 ans de carrière, il se considère heureux du chemin parcouru.

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Jean-Yves l’Onflé, comment allez-vous ?
Je vais très bien, mais je me sens un peu fatigué en raison de l’exposition et du vernissage prévu le 26 avril. Cette idée de faire une exposition autour des 14 stations de Jésus m’est venue grâce à la présidente du Morne, Diane Montocchio. En sus de cela, j’ai beaucoup à faire sur le terrain. Je suis membre du conseil du village de Tamarin. J’ai toujours été très impliqué dans mon village. 

Prêt pour votre exposition « Les 14 stations » à l’école d’art de Pointe Tamarin ?
Je suis prêt à 99 % pour l’exposition. Le pour cent restant, c’est la peur que rien ne se déroule comme prévu. Il me reste encore quelques tâches à accomplir. Avant de présenter une exposition, je dois revoir mes tableaux et effectuer les dernières retouches.

Pourquoi avez-vous choisi d’organiser une exposition sur cette tradition chrétienne profonde ?
Honnêtement, je suis croyant, mais pas pratiquant. Ce travail m’a permis de renouer avec le Christ et l’église. En même temps, cela reste un défi pour moi, en tant qu’artiste, car je peins souvent la nature terrestre et marine. Peindre les 14 stations de Jésus a été un challenge que j’ai su relever.

Je pense à mon père que je n’ai presque pas connu. J’aurais aimé qu’il soit là pour qu’il voie l’homme que je suis devenu aujourd’hui»

Qu’avez-vous appris de plus grâce à ce défi ?
Je n’étais pas familier avec l’histoire des 14 stations de Jésus. Par exemple, la première station où Jésus est condamné à mort, la troisième où il porte sa croix, et ainsi de suite. J’ai dû lire davantage sur ce sujet pour mieux peindre mes tableaux.

Cette exposition n’est ni votre première ni votre dernière. Qu’est-ce qui vous inspire tant à continuer de peindre ?
C’est l’amour que j’ai pour mon travail. J’aime partager mon savoir-faire et c’est ce que je fais avec les enfants qui fréquentent mon école d’art à Pointe Tamarin. D’ailleurs, l’amour tient une place très importante dans ma vie. Je le fais avec mon cœur. 

Vous vous adonnez à votre art tous les jours ?
On me pose cette question très fréquemment, mais je ne peux pas y répondre. Par exemple, tout récemment, j’ai commencé à travailler à 7 heures du matin et j’ai terminé vers 21 heures. Une fois que je commence, je ne peux plus m’arrêter.

Quelles sont vos autres activités ?
J’adore les animaux. Avant, j’avais des poules, des canards et des oiseaux dans ma cour. À un moment donné, je me suis rendu compte que j’en avais trop, alors j’ai donné à adopter à ceux qui partagent ma passion pour les animaux. De temps en temps, je vais les voir pour savoir s’ils se portent bien là où ils sont.

Pour ma part, j’ai trois chiens. Ils font partie de ma famille. Je m’en occupe comme s’ils étaient mes enfants. Je les emmène chez le vétérinaire quand c’est nécessaire.

Avec plus de 26 ans de carrière, de quoi êtes-vous le plus fier ?
L’art m’a permis de devenir quelqu’un. Quand j’étais enfant, à l’école primaire, je ne savais ni lire ni écrire mon nom. J’ai appris à lire par amour pour l’art à l’âge de 17 ans. Je me suis posé la question : si je souhaite enseigner l’art et partager mon expérience avec les jeunes, je me dois d’être un modèle pour eux. 

J’ai appris uniquement la langue française. Je voulais le faire et j’ai réussi mes cours brillamment. Cela m’a pris trois ans. Maintenant, je peux lire et écrire en français sans aucun souci… Quand je révèle à d’autres mon passé, beaucoup ne me croient pas.

À l’école primaire, je ne savais ni lire ni écrire mon nom. J’ai appris à lire par amour pour l’art à l’âge de 17 ans»

Que diriez-vous aujourd’hui à l’enfant que vous étiez ?
Je lui aurais dit : « Jean Yves, regarde où ta passion t’a mené. Tu ne t’es pas découragé et tu n’as pas baissé les bras, même si tu viens d’un milieu familial compliqué. » (Sa mère était femme de ménage et est décédée il y a deux ans, et son père était pêcheur, décédé quand il avait quatre ans.)

En a-t-il souffert ?
Beaucoup. Mes amis savaient lire et écrire, mais moi, je ne savais rien. Toutes les semaines, ma mère devait se rendre à l’école Saint-Benoît (son école primaire) à cause de mes mauvais rapports. Je ne faisais pas mes devoirs et je ne fournissais aucun effort. Je passais mon temps à dessiner sur mes cahiers et partout où je le pouvais.

Et qu’auriez-vous dit à votre mère ?
« Je sais que c’était difficile pour toi, maman, de trouver l’argent pour payer mes cours d’art que je voulais tant suivre. Tu as vu que j’aimais l’art. Tu as tout fait pour que je puisse suivre ces cours. Tes sacrifices ont porté leurs fruits. »

Ainsi, avez-vous pu suivre des cours d’art aux côtés de feu Serge Constantin ?
J’ai été admis à l’école d’art de Serge Constantin à Rose-Hill en 1992, où j’ai étudié pendant deux ans avec le célèbre artiste lui-même. Par la suite, j’ai intégré le collège de la Confiance à Beau-Bassin, où je suis resté également trois ans. Mon enseignant d’art s’appelait Bruno Tonta. Il m’a aidé à progresser techniquement en peinture. J’ai beaucoup appris grâce à lui. Cela a été possible grâce à l’intervention de Jean-Jacques Arjoon.

Cela a changé votre vie ?  
Énormément. (Il change subitement de sujet et s’ouvre à nouveau). Toutefois, de l’enfant illettré à l’adolescent qui a continué à être persécuté, j’en ai connu des vertes et des pas mûres. Je me souviens quand je devais prendre le bus à Rose-Hill pour rentrer chez moi, à la gare il y avait beaucoup de jeunes et je devais les affronter. J’étais très timide et je restais dans mon coin. Beaucoup me traitaient de « pédé » et proféraient d’autres grossièretés.

C’est blessant d’entendre tout cela…
Je pleurais en rentrant chez moi. Je racontais tout à ma mère. Elle me disait de ne pas abandonner. Je l’ai écoutée. J’avais raison. Cela m’a aidé. Heureusement qu’elle était là pour moi. 

Avec Eric, nous sommes un couple modèle pour beaucoup, surtout pour les couples homosexuels»

Êtes-vous un homme heureux aujourd’hui ?
Je suis fier du chemin parcouru. J’ai réalisé près de 200 expositions à Maurice et à l’étranger, dont 23 en solo. Mon art m’a également permis de beaucoup voyager. J’ai visité l’Afrique du Sud, les Seychelles, la Tanzanie et bien d’autres pays. Je représente souvent Maurice lors de grandes compétitions telles que la Biennale d’art en Tanzanie et aux Seychelles, à laquelle j’ai participé deux fois. J’ai également remporté plusieurs prix. Il y a tant de choses à raconter…

Quand je pense aux difficultés que j’ai connues, je me dis que j’ai eu de la chance. Je ne regrette pas mes choix. Auparavant, ils étaient nombreux à me regarder différemment en raison de mon homosexualité. Aujourd’hui, on me respecte pour qui je suis. J’ai accompli beaucoup de choses en 46 ans. Je reçois beaucoup d’encouragement et d’amour de la part des uns et des autres. C’est une fierté. 

Ce qui vous anime, ce n’est pas seulement votre passion pour l’art, mais aussi votre compagnon, Eric Laviolette ?
Dans les moments difficiles, il a toujours été là. Je peux aussi en dire autant de ma mère qui n’est malheureusement plus là. Eric a toujours cru en moi. Il est fier de moi. Je le sais. Cela fait 21 ans depuis qu’on s’aime.

Est-il facile de vivre ouvertement votre homosexualité ?
Au début, il était très difficile pour moi d’assumer pleinement mon homosexualité. Cela a duré jusqu’à mes 20 ans. Avec le temps, j’ai appris à utiliser l’art pour combattre la phobie de l’homosexualité. C’était l’une de mes missions : montrer aux autres que mon orientation sexuelle n’est pas un obstacle à ce que je sais faire. 

Aujourd’hui, je vis en toute sérénité. Avec Eric, nous marchons ensemble paisiblement. Tout le monde nous connaît à Tamarin et nous ne subissons aucun préjugé. Nous sommes un couple modèle pour beaucoup, surtout pour les couples homosexuels. 

Diriez-vous que votre relation est fortement influencée par votre passion commune pour l’art, étant donné que vous êtes tous les deux dans ce domaine ?
Nous sommes complices à ce niveau. Chacun contribue à sa manière et donne son point de vue quand il le faut. Cependant, cela nous arrive aussi d’avoir des petites disputes et c’est parce que j’ai un peu plus d’expérience que lui. Nous nous fâchons peut-être pendant cinq minutes, pas plus ! 

Avec le temps, j’ai appris à utiliser l’art pour combattre la phobie de l’homosexualité»

Ce n’est jamais lassant ?
Nous aimons ce que nous faisons et nous faisons en sorte de nous retrouver. Nous menons une vie bien organisée. Il m’aide et je l’aide.
En dehors de notre passion commune pour l’art, nous nous occupons également d’un enfant. Il s’agit du fils de mon frère, Hans, qui a aujourd’hui 16 ans. Il m’appelle papa. Je l’ai élevé depuis qu’il avait quatre mois et il a grandi avec nous. Sa mère est décédée et son père a refait sa vie depuis. Il est fier de dire que je suis son père. Et là, je pense à mon père que je n’ai presque pas connu. J’aurais aimé qu’il soit là pour qu’il voie l’homme que je suis devenu aujourd’hui.

Vous êtes plus que des parents biologiques pour Hans….
Nous veillons à ce qu’il réussisse bien à l’école et je ne veux pas qu’il traverse les mêmes difficultés que moi à son adolescence. Je ne veux pas que mon enfant souffre. Nous faisons tout notre possible pour qu’il grandisse dans un environnement sain et pour lui offrir le meilleur. Nous ne voulons pas qu’il soit victime des fléaux.

Vous avez évoqué votre fils, et en parlant d’enfance, vous avez également créé une école à La Pointe Tamarin pour aider les enfants à votre manière...
J’ai agi avec un objectif précis en tête : aider les enfants qui partagent la même passion que moi. Je leur raconte mon histoire afin de les inspirer et de les encourager à réussir. Je m’engage à les préserver des mauvais chemins. L’art peut être un outil puissant pour surmonter de nombreux obstacles.

Sinon, après « Les 14 stations », vers quel autre horizon vous dirigez-vous ?
Je me prépare pour une exposition qui sera composée d’une trentaine de tableaux. J’ai déjà commencé à m’y atteler. Ce sera soit à Maurice soit à la Réunion. D’ailleurs, c’est une île qui m’a apporté beaucoup de choses. On apprécie beaucoup mon art là-bas. C’est également le cas aux Seychelles. 

Et êtes-vous sur le chemin de l’espérance et l’avenir ? 
(Il rit mais répond sérieusement tout juste près) Il y a une station parmi les 14 que j’ai peintes où j’ai ressenti la souffrance de Jésus cloué sur la croix. Si une aiguille nous pique, cela nous fait mal. Imaginez la souffrance que Jésus a ressentie… Je suis vraiment content de l’avoir fait... On peut dire que cela m’a donné plus de courage pour après.  

 

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