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Vijay Makhan: «Maurice ne peut faire autrement que de maintenir des relations équilibrées avec tous les pays»

Actuellement en Inde pour le compte du MMM afin de suivre les élections générales qui y ont lieu, l’ex-diplomate et secrétaire-général adjoint de l’Union africaine (UA), Vijay Makhan, a trouvé le temps pour accorder une entrevue au Défi Eco. Commentant à chaud les législatives indiennes, il fait observer que les sondages prédisent une nouvelle victoire du Bharatija Janata Party (BJP), de Narendra Modi. Une nouvelle victoire qui, selon lui, « consolidera davantage la présence indienne dans l’Océan indien en poursuivant une politique de coopération agissante avec les pays de cette région. »

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Étant en Inde en ce moment, quelles sont vos premières observations sur les législatives générales qui s’y tiennent ?
968 millions d’électeurs sont inscrits. Imaginez la logistique que cela requiert pour ce scrutin. C’est la Commission électorale de l’Inde qui est responsable de l’organisation de ces élections et elle dispose, de par la loi, des pouvoirs très étendus. Ces présentes élections se déroulent du 19 avril au 1er juin et les résultats seront connus le 4 juin. C’est vraiment une entreprise herculéenne. Toutes les dispositions sont prises pour permettre à tous ceux enregistrés de voter, même ceux qui habitent l’endroit le plus retiré ou difficilement accessible du pays, quel que soit le nombre de ces électeurs. La Commission électorale a toutefois exprimé sa déception quant au pourcentage de vote enregistré lors de la première phase du scrutin, tenue le 19 avril, qui se situe à 66 % en moyenne, 4 points en dessous du seuil enregistré en 2019. Elle a donc lancé une campagne pour que l’électorat s’exprime davantage durant les prochaines phases. La deuxième phase du vote s’est tenue le 26 avril, toujours avec un taux moins que la dernière fois. Ces deux premières phases couvrent 190 sièges sur un total de 543 dont est constitué le Lok Sabha, chambre basse du Parlement indien.

La campagne du BJP est centrée surtout autour de la forte personnalité du Premier ministre, Narendra Modi. En contrepartie, l’opposition (INDIA), qui est une alliance de 41 partis, ne présente pas de candidat premier ministériel. Force est de constater qu’à la veille des élections, plusieurs cas de défection, d’un parti ou d’une alliance à l’autre, ont été enregistrés. Autre fait notable, c’est que depuis les élections de 1951 jusqu’à celles de 2019, aucun parti n’a pu atteindre les 50% du vote comptabilisé. En 2019, le BJP avait obtenu 37% des voix exprimées avec 303 députés. Il espère faire mieux cette fois-ci, quoique l’opposition se dit satisfaite de la tendance qui se dégage suivant les deux premières phases.  

Si, comme tous les sondages le prédisent, le présent gouvernement est reconduit (en Inde), je ne prévois aucun grand changement d’orientation de la politique indienne dans la région de l’Océan indien (…)»

Quelles seraient les retombées de ce grand scrutin sur la politique indienne dans la région de l’Océan indien ?      
Si, comme tous les sondages le prédisent, le présent gouvernement est reconduit, je ne prévois aucun grand changement d’orientation de la politique indienne dans la région de l’Océan indien, si ce n’est d’y consolider davantage sa présence en poursuivant une politique de coopération agissante avec les pays de cette région, tout en gardant à l’esprit ce qui vient de se produire aux Maldives, où le parti du Président Muizzu, qui poursuit une politique de détachement de l’Inde, s’est assuré une victoire écrasante aux législatives tenues le dimanche 21 avril.

Le conflit au Gaza semble s’éterniser. À qui la responsabilité selon vous ?       
Après plus de six mois de frappes sans merci, il est clair qu’Israël ne dispose pas de renseignements sûrs quant aux lieux précis où se trouvent les forces armées du Hamas, ou alors son intention est de détruire complètement le Gaza, ne se souciant guère des milliers de victimes innocentes, surtout, parmi, les femmes et les enfants, qui ne demandent qu’à vivre paisiblement. Si cette guerre perdure, c’est qu’Israël, avec le soutien indéfectible de ses alliés de l’Occident, principalement les États-Unis, se sent très fort et protégé. Il n’en a cure de la prise de position du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) ou de son Assemblée générale qui réclament, à tue-tête, un cessez-le-feu. En plus, Israël continue de bénéficier de ses alliés occidentaux de matériel de guerre et de milliards de dollars à vous donner le tournis. Je laisse donc le soin à vos lecteurs de tirer leur propre conclusion quant à ceux responsables de l’éternisation de ce conflit.  

Est-ce qu’Israël est prêt à accepter la création d’un État palestinien qui serait dirigé par ce même Hamas, considéré comme une organisation ‘terroriste’ et ‘antisémite’ ?
Pas avec Benjamin Netanyahu à la tête du gouvernement israélien. Ceci dit, rappelons que ce même Israël a, dans un passé pas si lointain, contribué à financer le Hamas pour affaiblir l’Autorité palestinienne. Ce même Netanyahu est à la base de l’échouement de l’Accord d’Oslo. Sa survie politique, qui tient à un fil, dépend largement de cette guerre, du soutien de l’extrême-droite, les ultra-orthodoxes et des “settlers” qui ont été encouragés à s’installer sur les territoires palestiniens occupés. 

Nos missions diplomatiques sont dirigées par des nominés politiques, pour la plupart inexistants sinon tout simplement inefficaces, alors que le ministère des Affaires étrangères a en son sein des diplomates chevronnés...»

Quel regard jetez-vous sur le conflit qui s’est déclaré entre Israël et l’Iran ?
Il me paraît que les frappes qui ont été échangées entre ces deux pays récemment ressemblent à un scénario prédéterminé, pour ne pas dire une mise en scène. L’Iran ne pouvait pas passer sous silence l’attaque de son consulat en Syrie menant à des pertes de vies et Israël ne pouvait ne pas répondre à l’attaque iranienne. Aucun des deux ne souhaiterait voir ce conflit s’étendre dans la région, mais la fierté nationale a pris le dessus. Peut-être que je fais fausse route, mais si la tension, suite à cet échange de tirs, presque sans conséquences ou avec des résultats contestés, était vraiment explosive, je ne pense pas que le président Raisi aurait quitté l’Iran pour entamer une visite officielle de trois jours au Pakistan, à moins qu’il cherche à pacifier celui-ci, suite aux belligérances récentes. Et puis, les Houthis, qui sont soutenus par l’Iran, continuent d’attaquer les navires en route vers ou venant d’Israël. Ce serait une étape dangereuse franchie si le conflit dans cette partie du monde devait s’élargir, ce qui explique l’appel unanime pour la restreinte. Pour l’instant, cette guerre ne se limite qu’aux déclarations belliqueuses.
 
Le gouvernement américain vient d’approuver l’aide de 61 milliards de dollars à l’Ukraine. Est-ce un tournant dans ce conflit ?
Je ne voudrais m’aventurer pour dire si c’en est un, mais depuis longtemps l’Ukraine réclame un appui logistique et financier pour pouvoir mater les Russes. Le Congrès américain en a mis du temps pour approuver cette somme, quoique ce package d’aide comprenait aussi Israël et Taiwan pour faciliter son passage. Pour moi, ce conflit n’est pas près de tirer à sa fin.

Quelle a été la politique indienne – avant les élections qui y ont lieu en ce moment - dans la région de l’Océan indien ? Et quelle est la ligne de Narendra Modi par rapport à celle de ses prédécesseurs ?
L’Inde a toujours considéré l’Océan indien comme ‘son océan’. Sa politique dans cette région a donc toujours été d’assurer sa présence et de promouvoir des liens d’amitié avec les États qui s’y trouvent. Cette politique est d’autant plus d’actualité ces derniers temps vu l’importance accrue de cette région dans la mouvance géopolitique et la compétition ouverte entre l’Inde et la Chine pour sauvegarder leurs intérêts économiques, commerciaux, et sécuritaires. Ainsi, c’est une politique de continuité que privilégiera l’Inde quel que soit le régime en place à Delhi. La politique affichée de Modi a été “La région en premier”.

Dans quelle mesure les partis politiques mauriciens suivent-ils de près ces élections ?
Je pense que tout parti politique mauricien digne de ce nom devrait avoir un œil sur le déroulement de ces élections, car au-delà des liens traditionnels qui unissent nos deux pays, il y a aussi l’aspect géopolitique qu’il faut garder en tête, l’Inde étant un des acteurs majeurs de cette région. D’ailleurs, je suis en Inde en ce moment précisément pour suivre le déroulement de ce scrutin au nom de mon parti, le MMM, suite à une invitation adressée au leader, Paul Bérenger. Et, je dois le souligner, c’est une expérience unique.

Si cette guerre (à Gaza) perdure, c’est qu’Israël, avec le soutien, indéfectible de ses alliés de l’Occident, principalement les États-Unis, se sent très fort et protégé.»

Pourquoi l’élection présidentielle prévue en novembre 2024 aux États-Unis revêt-elle, elle aussi, une dimension particulière ?
On se souviendra de ce fameux 6 janvier 2021 quand le Capitole à Washington, symbole de la démocratie des États-Unis, fut pris d’assaut par les partisans de Donald Trump qui, n’acceptant pas sa défaite, les encourageait dans leur démarche destructive. Et voilà que ce même personnage, tout en faisant face à des procès, contestera les prochaines élections présidentielles au nom des républicains. D’aucuns disent que ce sera un test pour la survie de la démocratie en Amérique. Mis à part les sujets purement domestiques, la politique étrangère est aussi en jeu, avec les tensions qui secouent le monde. L’Amérique, faut-il le dire, ne jouit plus de l’influence sur ses alliés comme jadis. Son leadership et sa crédibilité sont entamés.  Quant à Joe Biden, il laisse l’impression d’une personne affaiblie physiquement...    

Selon certains sondages et des observateurs, le Parti travailliste anglais pourrait retrouver le pouvoir en janvier 2025. Quelles en seraient les conséquences, notamment concernant la question de Chagos, souvent défendue par la gauche du Labour anglais ?
Si c’était Jeremy Corbyn toujours aux commandes du Labour anglais, je vous aurais dit qu’avec une victoire de ce parti, le dénouement s’agissant des Chagos aurait été plutôt rapide et satisfaisant tant pour nos compatriotes de souche chagossienne que pour la République de Maurice. Toutefois, je ne peux m’empêcher de me rappeler qu’un gouvernement travailliste à Londres n’a pas toujours été à l’avantage de Maurice. À commencer, c’était sous Harold Wilson du Labour que les Chagos furent détachés de notre territoire et, les pires tracasseries nous ont été causées durant les gouvernements successifs de Tony Blair. Donc, attendons voir…

Comment, à ce jour, a été la politique étrangère de Maurice ?
J’ai, à maintes reprises, répondu à cette question, ici-même dans votre journal ou ailleurs et sur les ondes des radios privées. Mon opinion n’a pas changé. J’insisterais sur le fait qu’elle a été, depuis quelque temps, une de pompier, c’est-à-dire, une politique ponctuelle, sauf sur certains dossiers, encore que… Notre politique souffre d’un manque de vision et d’un plan d’action y afférent. Je ne vois pas nos actions tombant dans le cadre d’un plan d’ensemble, mûrement réfléchi et élaboré. Remarquez aussi que toutes nos missions diplomatiques sont dirigées par des nominés politiques, pour la plupart inexistants sinon tout simplement inefficaces, alors que le ministère des Affaires étrangères a en son sein des diplomates chevronnés... Dommage que c’est seulement et surtout dans les rapports annuels de l’Audit qu’on entend parler de nos chefs de mission et de nos missions elles-mêmes !

Faut-il craindre une certaine ingérence/influence de l’étranger sur les futures élections générales à Maurice ? Et quels sont les intérêts étrangers qui sont les plus concernés par ce scrutin ?
En traitant cette question, il faut garder à l’esprit la position stratégique de notre pays et l’évolution géopolitique de la région. Il est évident que ces élections, comme les précédentes, sont suivies de près par nos principaux partenaires qui ont tous une présence ici à travers leurs missions diplomatiques, et cela, depuis longtemps. Quant à une certaine ingérence, voire influence, s’il y en a ou en aura, c’est de façon discrète, pas ouvertement. Il y a eu dans le passé une telle tentative. Ceux qui suivent attentivement cet aspect des choses se souviendront au moins de deux cas dans le passé où la discrétion d’usage avait été mise de côté... Je pense qu’on devrait se méfier plutôt des nouvelles technologies, telles que l’intelligence artificielle, les deepfakes, etc. 
 
L’île Maurice peut-elle encore maintenir des relations équilibrées avec tous les pays, au nom du fameux ‘ennemi de personne et ami de tout le monde’ ?
Un État comme le nôtre ne peut s’aventurer à faire autrement, quoique ces temps derniers, on laisse comme impression un certain infléchissement de cette posture. Vous n’avez qu’à écouter les arguments mis en avant par certains élus, mal inspirés, de Londres et de Washington concernant les Chagos, quoiqu’ils soient complètement à côté de la plaque. C’est pour cela que je dis que notre politique étrangère doit être inspirée d’une vision bien définie, accompagnée d’un plan d’action agissant et effectif.

Comment, selon vous, le pays doit-il agencer ses rapports avec ses amis de l’époque précoloniale, ceux de l’ère du ‘Non-alignement’ et ceux des Brics ?
Nous ne sommes plus dans cette période où les organisations, comme le groupe des non-alignés, avaient voix au chapitre sur les grandes questions internationales. Les intérêts ne sont plus les mêmes. J’en reviens à mes propos concernant notre politique étrangère qui doit bouger selon les exigences du temps. Elle ne peut être statique car les relations internationales, elles, sont dynamiques et évoluent rapidement. Prenez le cas des BRICS où rapidement, pour une question de posture, ou de contrebalance, une invitation avait été faite à six pays à s’y joindre dès janvier de cette année. Or, l’Argentine, un des six invités, après un changement de régime en décembre dernier, a décliné l’invitation, n’étant pas d’accord officiellement avec l’étendue et l’influence économique de la Chine au sein de ce regroupement. Nos relations avec les pays qui en sont membres sont d’ordre bilatéral. 

En tant qu’ancien secrétaire-général adjoint de l’Union africaine (UA), quelle est votre opinion sur l’‘utilité’ de celle-ci aujourd’hui, à un moment où la France est, aussi, en train de perdre ses soutiens historiques en Afrique ?
À bien des égards, l’Afrique demeure, malheureusement, l’enfant pauvre de ce monde en ébullition, quoiqu’elle dispose de plusieurs atouts et ressources pour émerger plus rapidement et prendre sa juste place dans le concert des nations. Or, notre organisation par excellence, l’Union africaine, est loin d’être efficace. Nous sommes à presque un quart de siècle dans cette nouvelle ère que nous clamions, moi inclus, comme celle de l’Afrique. Or, force est de constater que les mêmes maux qui nous affligeaient, suivant l’indépendance de nos pays, nous accompagnent toujours. Notre organisation suprême dépend encore et toujours des fonds de ses partenaires. Nous savons très bien qu’il n’y a pas de free lunch ! La Commission de l’UA n’a pas la latitude nécessaire pour honorer ses responsabilités et ses missions, quel que soit le domaine. Son acte constitutif, ses conventions et autres résolutions sont constamment bafoués. Vous n’avez qu’à faire un relevé des coups d’États et conflits que le continent a connus ces dernières années pour mesurer l’ampleur de l’inefficacité de cette organisation que l’on a voulue, à sa création, forte, indépendante et effective... La bonne volonté des États membres fait défaut. 

Voyons si la Zone de libre-échange continentale africaine qui, elle, dispose d’un secrétariat séparé, fera bouger les choses positivement sur le plan économique.

 

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